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dimanche 24 novembre 2013

Au temps des volontaires - 1792 : lettre n°8

Mercredi, 18 janvier, au soir. Au corps de garde de la porte de Trèves.

Bonsoir et adieu. Je vous dit adieu, parce que c’est demain de grand matin que votre soldat part pour Apach. On m'a demandé d'y aller à ma place, mais je ne cède pas ainsi les postes d'honneur ; je veux garder mon tour.

Portrait de Mme Durival, dite "mémère", mère adoptive de Joseph-Louis-Gabriel NOEL

Je commence à voir clair sur l'état dans lequel je suis entré : son esprit, bien entendu, se résume à l'égalité. Je sens maintenant combien il eût été déraisonnable que je fusse en chambre séparée comme nous le désirions d'abord, et cela quand même mes chefs me l'auraient permis. C'eût été m’attirer, non pas peut-être la haine de mes camarades, mais c’eut été du moins me faire regarder par eux d'un mauvais œil et sans doute m'attirer des querelles. Il y a dans le bataillon un jeune homme qui a obtenu cette faveur, et il y est mal vu. Il est vrai qu'il ne mange pas à la chambrée, et c'est une grande sottise de sa part : cette délicatesse de goûts n'est pas digne d'un vrai soldat. Quand on sera cantonné ou campé, il sera bien obligé d’être mêlé avec ses camarades, et il y sera alors très mal accueilli. Tous les jours je me félicite d'être dans la chambrée où je suis ; c'est pourtant le sort seul qui en a décidé ; il m'a bien servi. Je serais peut-être dégoûté du régime et de la vie du soldat si j'étais dans la chambrée voisine. Il n'y a point d'ordre. Ils sont toujours en querelle. Il y a là trois ou quatre crânes qui ne cessent de crier à tue-tête et sont insupportables ; c'est pourquoi nous les surnommons par dérision les « muets ».

Quelquefois, on se fait des plaisanteries ; mais le meilleur moyen de les faire cesser, c'est d'en rire soi-même ; rien ne dégoûte tant un mauvais plaisant que d’abonder dans son sens. J'ai déjà essayé plusieurs fois et m'en suis toujours bien trouvé. Je ne sais toujours si nous irons cantonner. Je vous écrirai à Apach. J'y porterai ma petite boutique et ma grammaire allemande qui me sera bien commode pour parler aux habitants, lesquels, paraît-il, ne savent pas un mot de français.

Bonsoir, Je dormirai bien cette nuit. Je n'ai pas dormi l'autre parce que je n'avais pas sommeil, car je ne me plains pas du lit de camp qui est excellent.

Source :  Au temps des volontaires - 1792, lettres d'un volontaire de 1792 (Joseph-Louis-Gabriel NOEL), par Gabriel NOEL, Plon-Nourrit, 1912

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