dimanche 4 mars 2012

Emmanuel SERVAIS, président du gouvernement du Luxembourg de 1867 à 1874

Emmanuel SERVAIS fut président du gouvernement du Luxembourg de 1867 à 1874.

1- Années de formation

Par le Traité de Vienne de 1815, Guillaume 1er, Roides Pays-Bas, obtient le Grand-Duché de Luxembourg comme propriété personnelle (en compensation pour la perte de quelques principautés cédées à la Prusse). Sans accorder à ce pays une souveraineté distincte de son royaume, il y applique le même régime: législation hollandaise, enseignement du néerlandais dans les écoles. Pour payer les énormes dettes contractées par la Hollande avant 1815, il impose au Grand-Duché, pays agraire aux modestes ressources, une lourde fiscalité directe et indirecte et y procède à une vente massive des domaines de l’Etat.

Portrait d'Ammanuel Servais

En 1830, les provinces belges des Pays-Bas se révoltent et se détachent du royaume; elles se donnent en 1831, la Constitution la plus libérale d’Europe.

Lambert-Joseph-Emmanuel Servais est né à Mersch, le 11.4.1811, comme second fils d'Emmanuel-Jean-Antoine Servais (parfois qualifié d'Emmanuel sur les documents officiels), riche propriétaire et homme politique. Il a le privilège de grandir dans un milieu très bien informé sur la situation politique et économique. Son père est membre de la première commission provinciale d'agriculture (il introduit la première machine à vapeur au Grand-Duché pour sa distillerie) et les diligences s'arrêtent dans son auberge située au croisement des routes vers Arlon, Luxembourg et le nord du pays. Un relais de diligences si bien placé facilite l'échange rapide de nouvelles, le trafic de correspondance, de journaux et de livres. Dans la grande maison, l'importante bibliothèque juridique et historique du grand-père Philippe, qu'il regrette de n'avoir jamais connu, l'a fortement impressionné. Dans 18 boîtes en carton sont classées les archives des ancêtres, mayeurs de cette place d'Udingen : le courrier et les actes passés depuis 1578, les recueils d'ordonnances souveraines, les registres des villages administrés et ceux des propriétés familiales, les témoignages du passage des Militaires autrichiens, français ou des cosaques qui y ont établi leur quartier général ... Ces sources d'histoire(s) et les rencontres familiales, où chaque parent occupe quelque emploi public et où l'on voyage beaucoup pour affaires, captivent le jeune homme beaucoup plus que la philosophie futile, la chasse ou les fêtes, qui ne sont pour lui que pertes de temps. Il préfère analyser comment s'établit le pouvoir public, comment se font et se défont les régimes successifs et comment on se rend indispensable, à condition d'être mieux informé qu'autrui. Bref, le père, cet homme d'affaires résolument tourné vers l'avenir, expert dans la rédaction de contrats et d'actes notariés, et les oncles paternel et maternel, font autorité auprès des cinq fils Servais, qui y apprennent la pratique des transactions financières.

Pendant sa jeunesse, l'enseignement se trouve dans une situation désastreuse. Servais n'oubliera jamais le bénéfice qu'il a tiré des enseignements paternels : comme député, membre du Gouvernement, président du curatoire de l’Athénée ou bourgmestre de la ville de Luxembourg, il multipliera ses initiatives pour améliorer l'instruction publique dans le pays!

A l'époque de ses études secondaires, son père est membre des Etats provinciaux, jusqu'au moment où il se décide à acquérir (en 1832) les forges de Weilerbach sur la Sûre. Comme Philippe, son frère aîné, est destiné à succéder dans les affaires du père, et que plusieurs frères pourront encore le seconder dans cette tâche, Servais saisit la chance de pouvoir entièrement se consacrer à sa grande (sa seule?) passion: la chose publique.

Brillant élève à l’Athénée royal, seul établissement secondaire du pays et un des mieux cotés du royaume, il apprend e.a. le Néerlandais, le Français, le Latin et le Grec. Il excelle d'ailleurs dans les langues anciennes, celles-ci lui servant de clé pour approfondir ses connaissances sur les anciennes institutions romaines, qui le fascinent.

Après avoir encore suivi à l’Athénée la classe de philosophie (considérée comme première année d'enseignement supérieur), il commence ses études de droit à Gand (1829-1830). L’enseignement étant en pleine déconfiture à la suite de la révolution belge de 1830, dont il est le témoin, il se rend à Paris, où les émeutes l'intéressent particulièrement. Il y rejoint temporairement la Société des Droits de l'Homme et est reçu bachelier à l'Université en décembre 1831, avant de terminer ses études à Liège (doctorat, 22.2.1833).

2. Partisan d’une grande patrie belge (1833-1839)

En 1830, la Belgique se sépare de la Hollande, exemple suivi sur tout le territoire du Grand-Duché, sauf en la ville-forteresse de Luxembourg, occupée par une garnison prussienne, faisant partie de la Confédération germanique. La ville ne peut donc pas être arrachée au régime hollandais.

En 1831 les grandes puissances, réunies à Londres, concluent un compromis, appelé Traité des 24 articles, reconnu par la Belgique, mais refusé jusqu'en 1838 par le Roi des Pays-Bas, Grand-Duc de Luxembourg. Ce compromis prévoit en effet la séparation des quartiers wallon (à rattacher définitivement à la Belgique indépendante) et germanique de la province de Luxembourg.

Déjà en octobre 1830, le Gouvernement provisoire belge déclare que la province de Luxembourg fait partie de la Belgique. L'administration de la province est dirigée à partir de la ville d’Arlon, où réside le Gouverneur civil (l'avocat luxembourgeois Jean-BaptisteThorn) et où siège le Conseil provincial composé de 45 membres. En même temps les décrets royaux sont imposés à l'administration locale de la ville de Luxembourg par un Gouverneur « orangiste », institué par le Roi des Pays-Bas, et un chargé d'affaires résidant à La Haye.

Comme la Hollande s'est rendue très impopulaire, la plupart des Luxembourgeois souhaitent le rattachement à la Belgique. Il faudra donc tenter d'obtenir que le Traité des 24 articles, qui prévoit le détachement du quartier dit germanique de la province (Grand-Duché actuel), ne soit pas ratifié par la Belgique et la Hollande.

Après avoir terminé ses études de droit à Liège en 1833, Servais, appréciant le régime libéral belge, décide de se fixer à Arlon, capitale administrative de la province. Le Gouverneur est une bonne connaissance de son père, puisque leurs propriétés sont avoisinantes : Thorn va régulièrement en son château de Schoenfels (acquis en 1813), ancien domaine seigneurial administré par le grand-père Servais et ancien lieu de chasse du père; en outre il a acquis en 1823 à Reckange-Mersch le château-ferme, alors que les Servais y possèdent les forêts et le moulin. Faut-il y ajouter que Thorn et Antoine Servais se sont vus régulièrement jusqu'en 1831, comme membres des Etats provinciaux ?

En 1832, le père a acquis les forges de Weilerbach, et le Luxembourg n'est pas industrialisé, n'a pas de chemins de fer, rien que des voies de communication en mauvais état : il faudra un grand marché continu. En plus l'avenir politique du Luxembourg est incertain: on ne peut ignorer la menace d'une occupation de son territoire par les troupes de la Confédération germanique. Et puis l'espoir que le pays sera belge à part entière n'est pas à écarter non plus.

Le barreau d’Arlon s'impose donc pour ainsi dire. Servais s'y fait inscrire de suite, en l833, et y siégera jusqu'en 1839.

De septembre 1836 à 1839, il représente le canton de Mersch au Conseil provincial. Secrétaire suppléant en 1836, il en est le secrétaire effectif les deux années, suivantes, se montrant en ces fonctions un digne successeur de Jean-Baptiste Nothomb.

En 1836 encore, il fonde avec Victor Tesch le bi-hebdomadaire « l’Echo du Luxembourg », profitant ainsi de la liberté de presse existant en Belgique. Dans son journal, il s'engage avec fermeté pour la construction de meilleures voies de communication (routes, chemins de fer, canal de la Meuse), et il milite avec passion pour le rattachement à la Belgique. Pour la même raison, il se présente en mai 1838 comme un des fondateurs d'une « Société Centrale patriotique du Luxembourg » qui est active dans le quartier germanique de la province. En décembre de la même année, il organise à Ettelbruck (sous la présidence de Mathias Simons, futur Président du Gouvernement luxembourgeois) une manifestation au cours de laquelle il aurait excité la population accourue de toutes parts à s'armer contre les Orangistes. Il édite une médaille d'infamie à l'encontre du Sénateur de Quarré et il participe à une démarche de protestation du Conseil provincial auprès du Roi Léopold de Belgique et du Gouvernement.

En mars 1839, les deux chambres belges sanctionnent le Traité des 24 articles. Servais choisit de quitter le barreau d’Arlon et rentre à Mersch.

3. L’avant quarante-huit (1839-1848)

Le Traité de Londres du 19 avril 1839, dont on a commémoré le cent-cinquantenaire lors des fêtes de l'indépendance nationale en 1989, entraîne la création de deux Luxembourgs distincts: une province belge avec Arlon comme chef-lieu; le restant du Grand-Duché, ainsi départagé, rentre sous la souveraineté de Guillaume Ier, Roi des Pays-Bas, à titre dépossession personnelle rattachée à la Confédération germanique.

Après la perte du quartier wallon et de la jouissance des libertés antérieures, les Luxembourgeois se découvrent certes une langue en commun, mais le pays est géographiquement isolé, manque de débouchés, de voies de communication, de techniques financières, de capitaux et d'installations modernes.

Le Grand-Duché est doté de sa première Constitution en 1841 et devient membre du Zollverein (Union douanière) en 1842, ce qui non seulement lui ouvre le marché de la Prusse et procure à l’état des recettes douanières appréciables, mais le place également sous la prédominance de son grand voisin.

Rentré à Mersch en août 1839, Servais adresse une requête au Roi Grand-Duc pour se faire inscrire au barreau de Luxembourg. Le chef des affaires civiles à Luxembourg, Hassenpflug, repousse sa requête, sous prétexte qu'il aurait dû avoir subi un examen d'admission auprès d'une université allemande. Après avoir personnellement présenté sa requête devant le Roi Grand-Duc à La Haye, Servais est admis à prêter le serment d'avocat le 30.4.1840. L’avocat, habitant au Marché-auxPoissons, est reçu avoué deux ans plus tard.

Le Roi Guillaume Il le nomme membre de la Commission des Neuf qui collabore avec lui à La Haye, du 8 août au 5 novembre 1841, pour étudier notamment la question de la non-ratification du Zollverein et celle de l'octroi d'une Constitution d'Etats. Un premier projet des Neuf, calqué sur le modèle belge, n'est pas approuvé par le Roi qui estime qu'il ne tient pas compte de ses droits de souverain, et prince membre de la Confédération germanique. La Constitution résultante accentue trop les pouvoirs absolus du monarque et passe les libertés politiques sous silence. Au retour de La Haye, Servais épouse sa cousine Elisa BOCH, fille de Jean-Joseph BOCH-RICHARD, âgée de 22 ans. Il est nommé au grade de commandeur sur la première promotion de l'Ordre de la Couronne de Chêne, créé le 29.12.1841.

Antoine SERVAIS, maître de forges, insiste auprès de son fils à La Haye sur la nécessité pour le pays d'adhérer au Zollverein, pour avoir de nouveaux débouchés après la séparation de la Belgique. De même, le tanneur Théodore RICHARD, le beau-frère bien-aimé d’Antoine, déploie toute son activité pour se mettre en rapport avec les autres industriels et faire toutes les démarches nécessaires au moyen de correspondances, de pétitions, de polémiques et de députations. Celui-ci fait même deux fois, en 1840 et 1841, le voyage à La Haye, où il est reçu par le Roi avec le Consul général Lippmann et peut, avec l'aide du conseiller référendaire Stifft, rétablir à la dernière heure les chances en faveur du Grand-Duché. En 1842, le Roi accepte l'adhésion au Zollverein (Notices généalogiques Richard, par Léon Richard).

Désigné, tout comme son oncle RICHARD, membre des Etats en 1841, Servais y fait, à plusieurs reprises, preuve d'un grand courage civique, notamment en tant que (premier) rapporteur du budget où, dans la séance du 22.11.1842, il critique l'irrégularité de la situation financière et plaide pour qu'on n'augmente pas le montant de la liste civile du Roi Grand-Duc. C'est au cours de cette même séance qu'il explique déjà - il aura d'ailleurs l'occasion de le réaliser en 1856 - que " la création d'une banque nationale pourrait procurer de grandes ressources à l'Etat et au pays. Les communes et les établissements publics verseraient dans les caisses leurs nombreux capitaux improductifs aujourd'hui; ils se contenteraient d'un faible intérêt. Les placements de ces fonds se feraient facilement avec bénéfice." Il prend également position à l'égard de la loi de 1843 sur l'enseignement primaire (il se met fort pour le bilinguisme et s'oppose au fait que « l'Etat renonce à des droits essentiels de surveillance et de direction pour les abandonner au clergé et provoquer par là la lutte et la division du pays en deux camps »). Dans cette loi, le vicaire apostolique Mgr Jean-Théodore Laurent réussit à introduire un large contrôle de l'Eglise non seulement sur les matières de l'enseignement, mais également sur les instituteurs.

En 1843, il figure au premier conseil communal de Luxembourg, formé en vertu de la loi du 24.02.1843; à partir du 20.12.1845 jusqu'en 1847, il est échevin.

Servais quitte le barreau pour se faire nommer juge suppléant, le 06.02.1846.

En 1846/47 il tente de fonder avec Charles Munchen un bi-hebdomadaire dans lequel la Constitution de 1841 serait soumise à une sévère critique, raison pour laquelle la demande en obtention d'une autorisation est rejetée par le Gouvernement de la Fontaine.

Le 31.12.1846, il figure parmi les 16 des 35 membres des Etats qui demandent à Pie IX le rappel de Mgr Laurent.

En 1847, il présente le rapport du projet de la loi sur l'organisation judiciaire. (Introduction du principe de l'inamovibilité des juges.)

4. Révolution et réaction (1848-1856)

La proclamation de la république en France, en février 1848, ébranle les Etats allemands formant la Confédération : la Diète convoque à Francfort une Assemblée Constituante pour réorganiser l’Empire. Le Luxembourg y aura trois délégués. Au Grand-Duché, dès le mois de mars, des émeutiers hissent le drapeau français, protestent contre les impôts trop élevés et pour des lois sociales. Le déguerpissement du vicaire apostolique, Mgr Laurent, est provoqué. Les troubles forcent le Roi Guillaume II et le Gouvernement à réagir: on fait des concessions. Il y a des élections pour une Assemblée Constituante nationale, puis pour le Parlement de Francfort. La nouvelle constitution (1848) est inspirée de la Constitution libérale belge de 1831: la Chambre devient le pouvoir dirigeant, les pouvoirs du souverain sont délimités, la séparation des pouvoirs, les libertés des citoyens et la responsabilité ministérielle sont introduites.

Le Gouvernement de la Fontaine est remplacé par le Gouvernement Willmar. Mais Guillaume III, le nouveau Roi Grand-Duc monté sur le trône en 1849, critique « l'omnipotence » parlementaire consacrée en 1848. D’ailleurs, en 1851, la Diète germanique exige que les Etats-membres adaptent leurs constitutions aux statuts de la Confédération. Le Roi institue son frère Henri comme son lieutenant-représentant à Luxembourg. Le Gouvernement est démissionné en 1853 suite à des rapports confidentiels au Prince-lieutenant dans lesquels Servais fait état de : "attentats contre l'autorité royale, violation de la constitution et des lois au profit de quelques ambitieux, triomphe des intrigans ... " Le Gouvernement Wilbnar-Metz est remplacé par celui de Mathias Simons dont Servais fait partie. Le Gouvernement reçoit la mission de réviser la Constitution, mais son projet échoue à la Chambre. Le Roi octroie alors une nouvelle Constitution (1856), qui institue le Conseil d’Etat pour servir de contrepoids au Parlement et qui dispose que la puissance souveraine réside dans la personne du Roi Grand-Duc.

Aux élections pour l’assemblée constituante du 19 avril 1848, Servais est élu député du canton de Mersch à 1'unanimité des votants. Il est désigné membre de la commission des Quinze chargée d'élaborer une nouvelle Constitution; celle-ci se décharge de sa mission sur une commission restreinte, dont il fait encore partie, à côté de Charles Metz et de Charles Munchen, qui élabore une première ébauche. (Introduction du principe de la séparation des pouvoirs et de la responsabilité des membres du gouvernement.)

Servais participe aux débats publics seulement jusqu'au 18 mai 1848, jour de sa démission, étant donné qu'il a été élu député au Parlement de Francfort. La Constituante a restreint le mandat des députés luxembourgeois disant que ceux-ci devront protester contre les résolutions de l'Assemblée de Francfort pouvant porter préjudice à l'indépendance du Grand-Duché ou à l'exercice des droits politiques ou civiques de nos citoyens. Par la suite nos trois délégués (Servais, Munchen et Willmar) ont effectivement protesté à Francfort et interrompu leurs travaux. (Sur proposition du député Lucien Richard, secrétaire de la Commission des Quinze et cousin de Servais, le Parlement luxembourgeois a décidé que les délégués à Francfort peuvent continuer leur participation et surseoir aux actes de protestation.)

En 1854 il désapprouve un projet de concordat avec le -St Siège négocié à La Haye par ses collègues Simons et Wurth-Paquet concernant la création d'un évêché.

A Francfort, Servais n'adhère à aucune fraction politique; il ne prend pas la parole. Jusqu'à leur rentrée, nos délégués ne participent qu'à environ un quart des votes nominatifs, mais à beaucoup de votes importants. Conformément au mandat formel reçu de s'opposer à toute décision susceptible de léser l'indépendance nationale, ils votent contre la réunion des pays germaniques et non-germaniques dans un même Etat et contre la primauté d'une Constitution de l'Empire sur la Constitution des Etats nationaux et ils ne participent pas aux votes sur l'union douanière ou sur les droits des citoyens.

A signaler que le Roi de Prusse n'est élu empereur que grâce aux voix des trois délégués luxembourgeois (par 272 voix contre 267) qui ont préféré s'opposer à la solution grande-allemande soutenue par l’Autriche et la Bavière. Le Roi de Prusse refuse la couronne, et après cette élection, les Luxembourgeois ne participent plus aux travaux qui finissent avec le désaccord des Etats sur l'organisation unitaire et centralisatrice de l'Allemagne.

Servais, qui n'ose pas se présenter aux élections générales de septembre 1848, se fait nommer Conseiller à la Cour Supérieure de Justice (1848-1853).

Cessant sa collaboration à « l'Echo du Luxembourg », il collabore au journal « Volksfreund » (1848-1849) et puis au « Patriot » (à côté e.a. de Charles Munchen et Lucien Richard) et s'y montre un absolutiste anti-quarantehuitard opposé aux cléricaux qui entourent le Gouvernement Willmar-Metz.

Après avoir antérieurement refusé les offres d'entrer aux Gouvernements de la Fontaine et Willmar, il accepte d'entrer au Gouvernement de Mathias Simons comme administrateur général responsable pour les finances, l'agriculture et le commerce.

Il réduit de 2.200 à 1.500 le nombre des débits de boissons (une mesure impopulaire), introduit un droit d'accise sur l'eau-de-vie venant de Prusse et permet la sortie des chevaux vers la France pendant la guerre de Crimée (mesures qui déplaisent à la Prusse).

5. L’ouverture du Luxembourg (1856-1868)

A côté de l'amélioration du réseau routier entreprise déjà depuis plusieurs années, le Gouvernement Simons décide en 1855 de procéder à la construction des chemins de fer dans l'intérêt des échanges commerciaux et du transport des matières premières de l'industrie sidérurgique. La Société du chemin de fer Guillaume-Luxembourg, créée à Paris en 1857, cède par bail l'exploitation de ses lignes à la Compagnie (française) de l’Est. En 1859 les premiers tronçons (Luxembourg-Thionville et Luxembourg-Arlon) sont inaugurés.

En 1856, la place financière reprend son essor avec la création de la Caisse d’Epargne de l’Etat et celle de la Banque Internationale. Les investisseurs étrangers contribuent à moderniser nos forges.

L'adhésion au Zollverein est renouvelée en 1865.

En 1866/67, Napoléon III propose à Guillaume III, Roi des Pays-Bas, de lui acheter le Grand-Duché, propriété personnelle de la couronne. Le Roi accepte sous réserve que la Prusse ne s'oppose pas à la cession du Luxembourg qui abrite la garnison fédérale et qui est toujours membre du Zollverein. Bismarck s'oppose et une guerre risque d'éclater. Le Traité de Londres du 11 mai 1867 comporte le renoncement de la France d'acquérir le Grand-Duché, qui devient indépendant et neutre sous la garantie collective des puissances signataires, tout en restant membre du Zollverein, et la Prusse évacue la forteresse qui doit être démantelée. Ces travaux de démolition ont favorisé le développement de la ville de Luxembourg.

En 1868 est fondée la Société Prince-Henri destinée à compléter les lignes de chemin de fer par un réseau de ceinture pour mettre le bassin minier en contact avec les régions industrielles des pays voisins.

Et c'est également de 1868 que date notre dernière Constitution, celle qui, par sa rédaction un peu sibylline, a réussi à régler pour longtemps l'attribution formelle des pouvoirs dans l’Etat tout en n'empêchant point une plus grande démocratisation dans l'exercice de ces mêmes pouvoirs au sein des institutions existantes ou à créer.

En 1856 Servais, administrateur général des finances au cabinet Simons, crée la Caisse d'Epargne de l'Etat (contre les réticences du Parlement) et la Banque Internationale (sans consultation du Parlement). Son beau-frère Jean-Pierre ANDRE a été chargé des négociations secrètes en vue de l'établissement de cette dernière.

Dans la même année il crée la première Ecole Agricole, établie à Echternach.

En novembre 1857, il démissionne après avoir été plusieurs fois empêché par ses collègues. Il fait partie des tous premiers membres à être nommés au Conseil d'Etat, y devient membre du Comité du Contentieux (octobre 1858) et Vice-Président (avril 1867).

Il est également membre de la Commission des Curateurs de l’Athénée de 1858 à 1867.

En 1861, le baron Victor de Tornaco, Président du Gouvernement depuis 1860, le charge avec I. de la Fontaine d'élaborer un rapport sur les prétentions néerlandaises concernant la dette de l'ancien royaume. Suite à ce rapport, ces prétentions sont rejetées comme non fondées.

Entre 1862 et 1866 il publie quatre études sur les institutions romaines : La Dictature, La Censure, La Justice criminelle, et les Lois agraires, qui doivent sans doute être sérieusement étudiées afin de mieux saisir sa conception de la conduite de l'Etat.

Les anciens délégués au Parlement de Francfort, Munchen et Servais, sont nommés en mai 1865 plénipotentiaires à Berlin pour négocier les conditions du renouvellement du Traité d'accession au Zollverein. La Prusse s'oppose à presque toutes les doléances luxembourgeoises et c'est avec difficulté qu'on réussit à l'empêcher d'entamer des négociations sur la question de l'exploitation des chemins de fer luxembourgeois (pour évincer la société de l'Est, société française concessionnaire).

En 1867, quand l'Empereur Napoléon III négocie avec Guillaume III, Roi Grand-Duc, pour acheter le Grand-Duché au prix de 5 millions de florins, Servais se trouve à La Haye avec le Ministre d'Etat Victor de Tornaco, pendant plusieurs semaines, entre février et mai, pour délibérer sur le dénouement de la grave crise internationale résultant du refus y opposé par Bismarck. Servais, Vice-Président du Conseil d'Etat et de la Cour Supérieure de Justice, est désigné plénipotentiaire au Traité de Londres du 11 mai 1867, avec de Tornaco.

Le 3 décembre 1867, il prête le serment en tant que Président du Gouvernement, suite à la chute du cabinet de Tornaco. Le 12 décembre, il transmet au Conseil d'Etat des changements qui touchent à l'essence même de la Constitution de 18S6. La nouvelle Constitution du 17 octobre 1868 est toujours en vigueur aujourd'hui, avec les adaptations qui se sont imposées depuis lors.

Le 5 décembre 1868 est conclue la Convention par laquelle l'exploitation des Chemins de fer Guillaume-Luxembourg est cédée à la Compagnie de l'Est, le loyer étant garanti par l'Etat français.

6. Un homme au sommet

1867-1874 : Emmanuel Servais, Président du Gouvernement, avec compétence pour: les affaires étrangères, les affaires militaires, les chemins de fer, les cultes, l'agriculture, le commerce et, plus tard, l'enseignement

1867/1868 : Le pays est troublé par des campagnes d'annexion à la France ou à la Belgique. Démantèlement de la forteresse de Luxembourg (travaux qui durent 7 ans); réorganisation de l'armée

1868 : Création de l'Institut-Grand-Ducal. Réorganisation de l'Ecole Normale d'instituteurs

1869 : Constitution de la Société des Chemins de fer Prince-Henri (son homme de confiance : François MAJERUS, grand spécialiste en la matière et confident du Prince Henri. Majerus est un industriel associé à la famille Servais, futur beau-père d'Emile, fils du Ministre d'Etat).

1870-1872 (et 1874) : Echanges de notes avec Bismarck où Servais défend avec fermeté le Luxembourg contre le reproche de ne pas observer la neutralité dans les conflits opposant la France et l'Allemagne - Risque d'annexion par l'Allemagne.

1871 : L’autorisation de séjour accordée à Victor Hugo.

1872 : Traité de Berlin du 11.6.1872 par lequel l'exploitation des chemins de fer luxembourgeois est cédée à l'Etat allemand. (Son cousin par alliance, le Baron Jean-Baptiste NOTHOMB, ambassadeur de la Belgique à Berlin, s'est montré un intermédiaire utile pour ces négociations).

Prolongation de l'Union Douanière avec l'Allemagne jusqu'en 1912.

1870/1874 : Lois sur les concessions minières et les tarifs ferroviaires.

1873 : Servais propose la création d'un Hôtel des Monnaies - Création de la Banque Nationale comme banque d'émission sur le modèle de la Banque Nationale de Belgique - Reconnaissance légale de l'Evêché.

Décembre 1874 : Servais démissionne suite à un désaccord avec le Prince Henri sur la politique ferroviaire; il est remplacé par Félix de Blochausen.

1874-1887 : Président du Conseil d'Etat.

1875-1890 : Bourgmestre de la ville de Luxembourg ; Président de la Commission des Curateurs de l’Athénée ; Président de la Société Agricole.

7. La fin d’une carrière politique

Jusqu'à la fin de sa vie, Servais se consacre à son mandat de Bourgmestre de la Ville de Luxembourg. En 1887, il démissionne, sur voeu du Roi Grand-Duc, de sa fonction de Président du Conseil d'Etat pour assumer la Présidence de la Chambre des Députés.

1879 : Publication de son livre fondamental sur le Traité de Londres de 1867 (dans lequel il prétend que l'initiative de céder le Grand-Duché ne venait pas du Roi Grand-Duc, mais de Napoléon III)

Achèvement de la rédaction de son autobiographie, publiée à titre posthume en 1895.

En 1885, le Roi Grand-Duc le charge de constituer un Gouvernement pour remplacer de Blochausen qui a perdu la confiance du Souverain à la suite de spéculations boursières au détriment de l'intérêt public. Servais réussit à faire ajourner cette démission pendante. C'est Edouard Thilges, son cousin par alliance, ancien ministre dans son propre cabinet en 1867, qui succédera à de Blochausen.

A Paris, Servais publie, en 1885 et 1886, deux études sur la Dictature à Rome et le Tribunat du Peuple.

Le 14 février 1890, Servais interpelle le Président du Gouvernement Paul Eyschen au sujet de son livre « Staatsrecht », et notamment quant à son interprétation de l'art. 32 de la Constitution de 1868 sur l'origine de la puissance souveraine. Eyschen y affirme que la souveraineté réside toujours dans la personne du souverain, comme il était stipulé dans le texte constitutionnel de 1856. Servais conteste cette thèse, mais Eyschen réussit à prouver que celui-ci a formulé une opinion identique dans une lettre, au Prince en 1868. Après ce jour, Servais ne participe plus aux travaux de la Chambre des Députés (dont il est le Président).

Décès à Bad Nauheim à la suite de malaises cardiaques le 17 juin 1890.

8. L’homme privé

Epouse :
Mariée en 1841, sa cousine Elisa BOCH ( 1819-1860), petite-fille du fondateur de la faïencerie de Septfontaines, décède déjà à l'âge de 41 ans.

Enfants :
1. Charles Servais (1842-1934), ing. dipl., un journaliste mordant (pendant une décennie).
2. Emile Servais-Majerus (1847-1928), ing. dipl., député, conseiller communal de Luxembourg. Quoiqu'il fût très préoccupé par la direction de ses usines de Weilerbach, c’est lui, un leader du parti libéral, et sa fille Maisy Mongenast-Servais, secrétaire du parti socialiste, qui relèvent le flambeau de la politique en s'engageant dans une lutte passionnée pour les droits sociaux.
3. Marie Servais (1853-1915).

Frères et sœurs :
1. Philippe Servais, frère aîné, maître de forges à Weilerbach/Prusse, membre du Provinziallandtag.
2. Bernard Servais, industriel, député d'Echternach (1869-1877).
3. Caroline Servais, épouse de Jean-Pierre André, ministre, député, commissaire à la BIL.
4. Pauline Servais, épouse d’Auguste Gillard, tanneur et bourgmestre à Sierck /France.
5. Joseph Servais, industriel, député (1868-1887) et bourgmestre de Mersch (1854-1859 et 1867-1878); habite la maison paternelle.
6. Henry Servais, seul artiste dans cette famille, compositeur, habite le Diesburgerhof; mort à l'âge de 35 ans.

Il s'entend particulièrement bien avec son frère Joseph de Mersch, avec qui il conserve des biens en indivision (par exemple, la forêt de Reckingen), et avec sa soeur Caroline, qui habite à sa résidence du Merscherberg devenue couvent des Soeurs Franciscaines. C'est elle qui s'est occupée de son ménage après le décès d'Elisa Boch.

Ses demeures :
Il passe sa jeunesse à Mersch. Après ses études et son séjour à Arlon, il y retourne en 1839. Après son mariage, il habite le château d'Itzig (1841-1845), aujourd’hui Institut St. Joseph, puis la maison Gellé au 2, rue de l'Eau à Luxembourg. En 1852, il acquiert la maison 3, rue de la Congrégation (aujourd'hui hôtel du Ministère des Finances, vendue à l'Etat par ses petits-enfants vers 1938).

Il passe chaque année quelques jours en été à Weilerbach, plus tard dans sa ferme (de 200 ha) à Altenhof-Bitbourg.

Source : Bibliothèque Nationale du Luxembourg, L.J. Emmanuel Servais (1811-1890), un grand homme politique du 19ème siècle, exposition réalisée par les amis du vieux Mersch en collaboration avec les archives nationales du Luxembourg. 1990.

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