dimanche 28 février 2010

Le capitaine Morfouace, compagnon d'armes de Bertrand du Guesclin


Eon Picaud (alias Picaut ou Picault), chevalier, seigneur de Morfouace, paroisse de Ploërmel, evêché de Saint-Malo, connu sous le nom du Capitaine Morfouace, appartenait à une famille distinguée de la noblesse bretonne et descendait authentiquement de Eudes ou Eudon Picaud, Picaut ou Picault, qualifié Miles, qui avait épousé en 1260, Adelice de Hennebont, dame de Tihenri, fille de Geoffroy, sire de Hennebont et de Catherine de Rohan, et veuve de Olivier de Lanvaux, ce qui nous est connu par divers titres, dont le plus ancien est une vente faite par Adelice à Geoffroy de Rohan, en 1261, et par un grand nombre d'autres passés de 1264 à 1278. Il dut naître dans la première moitié du quatorzième siècle, car, en 1370, il était déjà  connu comme un vaillant homme de guerre.

Le quatorzième siècle fut une des époques les plus troublées de notre histoire et jamais la noblesse bretonne n'avait été plus divisée. La mort de Charles de Blois à Auray, 1364, avait à la vérité anéanti son parti ; mais, malgré le traité de Guérande en 1365, qui garantissait à Jean le Conquérant la possession du duché, les coeurs n'en restaient pas moins ulcérés et la moindre étincelle pouvait rallumer un feu mal éteint.

D'un autre côté, le roi de France, Charles V, vivement froissé de l'alliance de Jean IV de Bretagne avec les Anglais, ces éternels ennemis de la France, ne cherchait qu'une occasion pour rompre avec lui.

Enfin poursuivant ses desseins contre l'Angleterre, Charles V déclara la guerre à Edouard III et, décidé à pousser activement les hostilités, rappela près de lui Bertrand du Guesclin, qui avait enrôlé sous sa bannière les grandes compagnies dont il avait su débarrasser la France en les menant en Espagne venger la mort de la reine Blanche de Bourbon mise à mort par Pierre le Cruel, roi de Castille en 1367. C'est dans un des nombreux engagements de Bertrand, récemment nommé Connétable de France y avec les Anglais qu'il vainquit à Beaufort, 1370, que nous voyons pour la première fois Eon Picaud de Morfouace, « chevalier tant renommé sous le nom de Capitaine Morfouace" dit du Tertre-Gault, dans son vieux et naïf langage, venu, au dire de d'Argentré, prêter main forte au nouveau connétable avec Geoffroy de Kerimel, maréchal de Bretagne, Maurice de Trésiguidy, Robert de Beaumanoir et autres chevaliers renommés.

Du Tertre-Gault affirme que, en récompense de sa brillante conduite en cette circonstance, il fut nommé capitaine ou gouverneur de Saint-Malo. Il est certain au moins que nous le trouvons en cette qualité en 1376.

Cependant la mésintelligence et la défiance n'avaient fait que s'accentuer entre le duc de Bretagne et le roi de France ; enfin le premier ayant fait un traité avec les Anglais, Charles V ne garda plus aucune mesure et, l'an 1373, il chargea le connétable du Guesclin de faire la conquête de la Bretagne. Bon nombre de seigneurs bretons, mécontents du duc, qui froissait de plus en plus leur susceptibilité en s'entourant d'Anglais et en les chargeant de tous les grands commandements suivirent le connétable dans cette guerre,où l'on ne peut s'empêcher de voir avec peine, Bertrand porter les armes contre sa patrie, quelques légitimes que fussent ses griefs contre son Souverain. Ainsi la Bretagne qui, après le traité de Guérande, était en droit d'espérer des jours de paix, se vit encore livrée à toutes les fureurs de la guerre.

Tombeau de Du Guesclin

Le duc Jean IV, effrayé de l'animosité de ses sujets contre la politique suivie par lui, avait pris le parti de se retirer en Angleterre, 1373 ; mais bientôt il revint en France avec le duc de Lancastre. Edouard III était mort en 1377 ; cependant l'avènement au trone de Richard II n'avait rien changé à la situation politique de l'Angleterre, avec laquelle le duc de Bretagne fit un nouveau traité en 1378.

Pendant ce temps, le connétable entrait en Normandie et y réduisait bon nombre de places qui étaient aux mains des Anglais, avec l'aide des principaux seigneurs bretons, le vicomte de la Bellière, Geoffroy de Kerimel, Jehan Tournemine, Henry de Plédran, Eustache de la Houssaye, Jehan de Quintin, Guillaume de Vauclerc, Jehan d'Acigné, etc., etc. De son côté, le duc de Lancastre, accompagné du duc de Cambridge, vint, à laide d'une puissante flotte, aborder à Saint-Malo, défendu par notre capitaine Morfouace "qui s'était acquis un grand renom dans le pays, par sa valeur", dit dom Morice. Il fit entrer dans la place plusieurs guerriers expérimentés sur lesquels il pouvait compter, entr'autres le vicomte de la Bellière, récemment revenu de Normandie, le sire de Combourg et Henry de Malestroit et attendit l'attaque de l'armée anglaise, composée de 4000 hommes d'armes et 8000 archers, soutenus d'un grand nombre de pièces de canon. Cette armée tenta bientôt sur la place, plusieurs assauts toujours vaillamment repoussés par Morfouace et la garnison. En apprenant ces nouvelles le roi de France donna l'ordre au connétable, alors à Cherbourg, de voler au secours de Saint-Malo ; il y arriva avec le duc de Bourgogne, le duc de Berry, le comte d'Alençon, le dauphin d'Auvergne et beaucoup d'autres seigneurs français à la tête de leurs compagnies. Au dire de Froissart, la plupart des barons et chevaliers bretons vinrent aussi se joindre à l'armée française qui devint ainsi considérable et campa devant Saint-Malo, à l'endroit où se trouve Saint-Servan, pour occuper l'armée anglaise et empêcher ses tentatives contre la place.

Lancastre, inquiété sans cesse par ce corps d'armée et ne pouvant par là même attaquer Saint-Malo, qui était d'ailleurs vigoureusement défendu, fit secrètement creuser une mine qui, conduite sous les murailles, devait lui assurer une victoire facile ; mais il avait compté sans la vigilance de notre chevalier breton. Celui-ci soupçonnant les projets de l'ennemi, faisait faire une garde assidue et envoyait chaque nuit des espions qui, après de nombreuses recherches d'abord infructueuses, vinrent enfin l'avertir qu'ils avaient découvert la mine et même avaient pu pénétrer dans le camp des Anglais, dont la garde était fort mal faite. Morfouace se hâte de profiter de ces renseignements, sort sans bruit de la place avec une partie de la garnison, entre sans être vu dans les fossés et parvient jusqu'à l'endroit où travaillaient les mineurs qui sont tués sur place et leurs travaux détruits. Il pénètre ensuite dans le camp ennemi où il fait un grand carnage et se retire sans perte notable, aussitôt qu'il s'aperçoit que l'alarme est donnée et que les Anglais commencent à se remettre de leur stupeur.

Le duc de Lancastre, honteux et au désespoir d'avoir été surpris de la sorte se rembarqua et fit voile pour l'Angleterre, où, disent les historiens, il fut fort mal reçu (1378).

La même annee, le duc de Bretagne, désespérant pour l'instant, du succès de ses affaires dans ses états, repartit pour l'Angleterre. Le roi Charles V crut l'occasion favorable pour accomplir le projet qu'il caressait depuis longtemps d'unir la Bretagne à la France et pensa qu'il ne s'agissait que de faire rendre un jugement contre le duc par le Parlement de Paris, pour confisquer le duché de Bretagne à son profit ; mais il avait compté sans le patriotisme de nos aïeux, qui, oubliant leur mécontentement, pourtant si légitime, contre le duc Jean IV, devinrent ses plus zélés défenseurs dès qu'ils s'aperçurent que le roi de France voulait profiter de leurs dissensions pour asservir leur patrie.

Charles V, roi de France

On vit alors ce magnifique mouvement de la noblesse bretonne s'unissant à la population tout entière pour supplier leur souverain de quitter l'Angleterre et de se mettre de nouveau à leur tête (1379). Enfin Jean le Conquérant s'embarqua le 22 juillet et le 3 août, il entrait dans la Rance pour se rendre à Dinan, au milieu des acclamations et des transports d'allégresse de ses sujets, heureux de le revoir au milieu d'eux. Parmi les seigneurs bretons on voyait des Beaumanoir, Montafilan, la Hunaudaye, Montauban, etc. etc. Eon

Picaud de Morfouace, le brave défenseur de Saint-Malo, n'avait garde de s'abstenir en cette circonstance et fut du nombre des gentilshommes qui firent cortège au duc.

Jean IV de Bretagne et ses conseillers

Quelques années plus tard (1386) nous retrouvons encore notre chevalier breton au nombre des principaux chefs qui assiégeaient la place de Brest, encore au pouvoir des Anglais, et devant laquelle le duc de Bretagne s'était rendu en personne avec une armée de plus de 10,000 hommes. Un fort en bois avait été élevé devant la ville et le duo en avait confié la garde à une forte garnison, sous les ordres des seigneurs de Maleslroit, de la Bellière, de Morfouace et de la Roche-Durant, qui donnèrent souvent l'alarme à la garnison anglaise, et, au dire des historiens, ne laissèrent pas, pour ainsi dire, passer un seul jour sans en venir à un engagement. Le Duc jugeant cependant que cet ouvrage provisoire était insuffisant pour réduire l'ennemi, fit élever un nouveau fort en pierres et en donna le commandement à du Pou, Malestroit et Chasteaubriant; mais attaqués, peu de temps après, par des forces bien supérieures dans cet ouvrage non encore achevé, une des tours fut renversée, et les Bretons, suivant Froissart, se voyant dans l'impossibilité de tenir plus longtemps, levèrent le siège et, à la faveur de la nuit, purent se retirer à Hennebont sans être inquiétés.

C'est la dernière fois que nous entendons parler de la carrière militaire du capitaine Morfouace ; mais ce que nous en avons vu doit suffire pour montrer qu'elle était sa réputation comme homme de guerre et qu'elle place il occupait parmi les seigneurs les plus en renom de la noblesse de Bretagne.

Toutefois si nous ne connaissons plus rien des faits de guerre de Morfouace, plusieurs titres nous parlent encore de lui jusqu'en 1400, époque à laquelle nous le perdons complètement de vue.

Le premier est une donation rapportée par dom Morice, en 1384 : éNous, Jehan, vicomte de Rohan, faisons savoir à tous que, pour les bons et agréables services que nous a faits Eon Picaut, desquels nous tenons pour bien oontents, et satisfaiz, à iceluy Eon Picaut avons donné et attrié (octroyé) à jamis, le cours de sa vie durant, et encore, donnons et attraions {octroyons) la somme de quatre-vingt livres par chacun an, de telle monnoye comme nous lèvrons pour nos renies par chacun an, à être prins et levés sur les revenus, profiz et esmolumens de nos forez, bois, etc. Donné témoing notre propre scel avec le passement de nostre main, le dernier jour du mois de septembre, l'an mil trois cent quatre-vintz et quatre". Et de la main du dit vicomte est escript : "Passé de nostre main". Nous ne savons quels services assez importants avait pu rendre au vicomte de Rohan Eon Picaut, pour justifier le don d'une somme aussi considérable pour le temps ; mais il faut se souvenir qu'il descendait de Catherine de Rohan, mère d'Adelice de Hennebont, femme elle-même d'Eudon Picaut de Tihenri, en 1260, et que, par là même, il devait être parent assez proche du vicomte de Rohan. Par ailleurs, à l'époque de cette donation, (1384), Eon Picaud de Morfouace était encore dans la vie active qui, au reste, pour les rudes batailleurs de ce temps, ne cessait guère que lorsque les forces faisaient défaut pour endosser l'armure ; peut-être alors serait-il question de quelque épisode de guerre dont le souvenir n'est pas venu jusqu'à  nous.

Armoiries de la famille Picaud

Le second acte où nous voyons encore Eon figurer, est un appointement fait au Parlement de Paris le 17 décembre 1400 "entre noble et puissant seigneur, Monsieur Alain, vicomte de Rohan, d'une part, et Eon Picaut, d'autre part,touchant sa propriété de la terre Chabot, du manoir de Morfouace et autres choses données au dit Picaut par Jehan, vicomte de Rohan, père dudit Alain".

La généalogie dressée par du Tertre-Gault dit que Eon Picaud de Morfouace "estait un des principaux officiers du duc, ce qui estait trouvé par un extrait tiré de la Chambre des comptes, dont M. de Quéhéon (Picaud) est saisi par original". Nous n'avons point vu ce titre et ne savons de quelle charge à la cour du duc il fait mention.

Eon Picaud de Morfouace avait épousé, au dire de du Tertre-Gault, une damoiselle nommée Yvorée, "de laquelle il estaultant difficile de trouver le surnom que certain est qu'en ce temps on exprimait rarement les surnoms des femmes, qu'elles semblaient perdre, en entrant dans les familles de leurs maris". Eh bien ! Nous croyons être plus heureux que du Terlre-Gault et nous pensons pouvoir affirmer que la femme du capitaine Morfouace se nommait

Yvorée de Pengréal. En effet nous trouvons dans les hommages rendus au vicomte de Rohan, en 1396, en raison de ses fiefs de la Chèze, Loudéac et Porhouët : "Alain Picaud, pour sa mère de Pengréal". En compulsant les dates il nous semble que l'on est amené forcément à croire que cet Alain est un fils cadet d'Eon, probablement héritier présomptif des terres de sa mère, pour lesquelles il fait hommage, son frère aîné, Jehan, que nous allons bientôt voir, ayant les fiefs et seigneuries du côté paternel. Donc, à notre avis, cette Pengréal n'est autre qu'Yvorée, dont du Tertre-Gault ignorait le nom patronymique. Cet avis semble d'autant plus concluant que nous trouvons aussi Eon de Pengréal, chevalier-bachelier , dans une montre de du Guesclin, reçue à Caen le 1er décembre 1370; Alain de Pengréal, dans les hommages rendus au vicomte de Rohan, le 13 juillet 1396, et Eon de Pengréal qui fait serment de fidélité au duc, parmi les nobles de Rohan et de Porhouët, l'an 1437. Cette coïncidence de noms, Eon, Alain et de pays, ne laisse, croyons-nous aucun doute.

Eon Picaud de Morfouace et sa femme achetèrent, des Carmes de Ploërmel, droit d'enfeu prohibitif dans leur église. Jehan Picaud leur fils ainé, obtint un nouveau titre confirmatif de ce droit des religieux de ce monastère le 16 juillet 1435.

Nous ne connaissons pas la date de la mort d'Eon mais elle était arrivée avant 1427, puisque nous trouvons, en cette année, son fils Jehan employé comme seigneur de Morfouace, à la réformation des nobles et des terres nobles de Ploërmel.

Source : Revue historique de l'Ouest, 1896, p77, le capitaine Morfouace, par A. de Bréhier.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
je ne sais pas ce qui vous a conduit à établir un article sur Éon Picaud, mais c'est passionnant ! Je suis un des milliers de descendants qu'il a et trouver encore les exploits de cet illustre ancetre vanté ainsi sur internet est touchant ! Merci

David COLLÉAUX

Anonyme a dit…

bonjour

Nous portons nous aussi le nom de Picaud mais la famille de mon mari est originaire de Guérande et ses environs. Pensez-vous que nous soyons de la même famille?

Picaud JM a dit…

Bonjour,
Bravo pour ce blog que j'ai trouver interéssant ,surtout car j'ai retrouvé les armoiries de ma famille que l'on retrouve en la chapelle St Roch. Merci pour cette page d'histoire
Archiprêtre Jean Marc Picaud